dimanche 31 décembre 2017

Passager clandestin

Quel rapport entre le meurtre d’une relation d’enfance de Vick Lempereur, le procès d’un célèbre laboratoire pharmaceutique, et l’association AlimAgrobio ? Vick va devoir mener l’enquête sous couverture dans le milieu de l’agro-industrie. Malheureusement, un inexplicable décès dans le manoir de l’association où il a trouvé refuge menace de tout compromettre.


  1. La prison de Fresnes

« Ça m’est arrivé souvent... de rêver que tu te retrouves là, tu sais. »

L’homme de l’autre côté de la vitre avait nettement plus de cheveux gris que dans son souvenir. Son visage hirsute, piqueté de noir et de gris au niveau des joues et du menton, avait ce teint blafard propre aux individus qui ne voient que rarement la lumière du jour. Les tatouages qui devaient recouvrir son corps affleuraient au-delà du col de sa chemise sur sa gorge. Pour un peu, son haleine chargée d’alcool viendrait l’assaillir comme cela avait été si souvent le cas — sauf que l’alcool était interdit ici, bien sûr.

« Quand tu as fini par t’y retrouver, il était... trop tard. Trop tard, pour elle. »

Sous les paupières gonflées, les yeux globuleux le fixaient d’un air de reproche — le monde à l’envers. Un rictus déforma ses lèvres. « Je serais censé t’apporter du réconfort, comme un bon fils. C’est ça ? » Il secoua la tête tout en maintenant le combiné du téléphone contre son oreille. « J’ai si longtemps vécu la peur au ventre. Et ensuite ça a été la haine. Là, tu vois, fit-il en plaquant la main gauche contre ses entrailles. Comme un poing refermé dans mon bide. Et ça, le vieux, va donc chercher à t’en débarrasser ! » Il s’absorba un instant dans la contemplation de la table du parloir, striée de rainures, avant de relever les paupières. « Tu te souviens de la fois où t’es revenu du bar tellement bourré que tu marchais en te cognant contre les murs du couloir de l’appart ? » Il marqua une courte pause. « Non, ça te dit rien à c’que j’vois. Faut dire que ça t’est arrivé tellement souvent... J’avais pris l’habitude de me prendre ma raclée en voulant défendre maman, mais cette fois-là, tu m’as loupé avec ta droite. Et j’ai réussi à te faire tomber en te faisant un croche-pied — tu ne tenais plus sur tes guiboles, faut dire. C’est moi qui t’ai roué de coups cette nuit-là. Je t’ai pris à coups de pieds dans la tête, et t’as même pas été capable de te relever. J’avais quoi ? Treize ans ? Le lendemain, ton visage était complètement tuméfié, et après que t’aies dessoûlé, on t’a raconté avec maman qu’on t’avait retrouvé comme ça dans la rue. Que tu t’étais fait passer à tabac par un inconnu. Et devine quoi ? Tu nous as crus. Tu te souvenais de rien. » Il sourit. Une partie de la tension qu’il ressentait s’évacua.

Pour la première fois, l’expression de son père se modifia. Il retrouva cette crispation sur chaque coin de la bouche, cette mâchoire serrée qui avait été si souvent le prélude a des explosions de colère. Mais cette fois, l’homme en face de lui fit effort pour se maîtriser, effaçant toute trace d’émotion de son visage.

« Après ça, reprit Vick, j’ai compris qu’il fallait que je me forme aux techniques de combat. Du coup, souvent depuis, mon corps percute plus vite que mon esprit. M’est arrivé de faire des conneries, ouais... » Il eut une esquisse de sourire sans joie. « Tu vois, tu m’as plus défait que tu ne m’as fait. » Il s’éclaircit la gorge. Son père avait décidément le masque livide d’un spectre. De tous les fantômes de son passé, il était celui qui l’avait le plus torturé. « J’ai lu quelques bouquins, là-bas, en Afrique. Ouais, je sais, un truc de tafiole. N’empêche, j’ai appris des tas de choses sur les gens comme toi. Ça m’a aidé à ouvrir les yeux. A me poser les bonnes questions. Comme, par exemple, où s’arrête ta putain de responsabilité et où commence la mienne... rapport à tout ce que j’ai fait. »

Il soupesa son père du regard. La respiration de celui-ci était rauque dans le combiné. « Pas le genre de trucs qui te soucierait, pas vrai ? La faute, ça a toujours été celle des autres, pas la tienne. Celle de maman. La mienne. J’me goure ? »

Un silence de plomb tomba, seulement troublé par cette lourde respiration, toujours. Le détenu Bertrand Lempereur gardait la bouche ouverte, mais sa voix était aux abonnés absents. Il y avait dans son regard un air de vague tristesse et de mépris. Vick se prit à se demander pourquoi il faisait la conversation à cet étranger. « Ne me dis pas, reprit-il, les dents serrées, que tu n’as pas eu le temps de te bricoler une conscience, ici. Est-ce que tu regrettes... d’avoir buté maman ? »

Il eut envie de se maudire. Sa voix s’était brisée sur la dernière question, on aurait dit de nouveau le morveux de tout juste quatorze ans.

L’homme, en face, avait à peine cillé. Du moins n’était-il pas en train de se foutre de sa gueule. Un roc, un dur à cuire. Les couloirs interminables et glaciaux de cette prison de merde, ses murs trop exigus, la promiscuité, la compagnie de criminels pires encore que lui avaient fini par l’insensibiliser tout à fait. Par tuer ce qui restait de l’être humain. La main de Vick agrippant le combiné tremblait presque.

Il respira lentement. Lui qui pensait s’être forgé une vraie armure au fil de ses années en tant que mercenaire...

« Qu’est-ce... qu’est-ce que tu fais de tes journées ? » finit-il par demander.

Son géniteur le regarda une nouvelle fois, les paupières mi-closes, sans répondre. Si sa haine pour lui avait été plus complète... si l’ivrogne à la main si lourde avait été entièrement dépourvu de qualités, les choses auraient été tellement plus faciles. Sur un signe de tête négatif, le détenu raccrocha pour lui tourner le dos sans autre forme de procès.

« Emouvantes retrouvailles », marmonna Vick. Il avait le détestable goût de la défaite dans la bouche, qu’il tordit sur un nouveau rictus. Il se leva brusquement.

Raccompagné par un gardien, Vick Lempereur remonta le déprimant couloir de la prison de Fresnes par lequel il était venu. Pas une bonne idée, de se pointer ici. Si les murs n’étaient pas aussi miteux qu’on pouvait si attendre — ils avaient été repeints récemment, et le bleu ciel alternait avec le beige —, en revanche, le fait que l’on retrouve occasionnellement par-ci par-là l’un des taulards, pendu ou les veines tailladées, n’avait rien d’étonnant. Combien de peines de prison transformées en peine de mort par la simple surpopulation ? Ils vivaient ici comme des rats — et avec pour compagnons de véritables rats, à ce qu’on disait.

Vick prenait garde à éviter tout contact. Ces murs avaient beau avoir été repeints, ils étaient anciens. De ténébreuses histoires exsudaient en permanence des lieux, le passé pesant sur le présent plus qu’en tout autre endroit qu’il avait visité.

Quel que fût le salaire des matons de ces oubliettes modernes, ce n’était pas assez. Vick ne se sentit mieux qu’une fois l’enceinte franchie.
*****

DATE DE SORTIE : 31 décembre 2017 : 

- versions ebook AMAZON  LA FNAC  KOBO  APPLE

8 janvier 2018 : 

Version papier sur la Fnac et autres distributeurs

PRIX DE LANCEMENT EBOOK : 0,99 € le 31 décembre et 1er janvier 2018 seulement

Prix habituel: 2,99 €

LIVRE PAPIER 148 x 210, 312 pages. ISBN : 979-10-90571-35-8. Prix: 17 €


Disponibilité 31 décembre sur Amazon


Autres distributeurs: 8 janvier 2018


Joyeux réveillon à tous !

[EDIT 1er janvier 2018] : Bonne année à tous! Pour bien la commencer, le recueil Le Vagabond et quatre autres thrillers est en promo à 0,99€ pendant tout ce mois de janvier! Il s'agit du premier livre dans lequel apparaît Vick Lempereur. Il n'est pas indispensable d'avoir lu Le Vagabond pour lire Passager clandestin, mais je souhaitais ainsi permettre à toute personne intéressée de faire plus ample connaissance avec Vick!


lundi 18 décembre 2017

Mon avis sur Star Wars Episode 8 : Les derniers Jedi

L'Empire Contre Attaque (Star Wars: Episode 5) a été le tout premier film que je suis allé voir au cinéma, le second de la première trilogie historique Guerre des Etoiles. Il m'a laissé un souvenir marquant. Pour faire honneur à ce souvenir, et aussi parce que la saga est un phénomène culturel qui va alimenter pas mal de conversations, je laisse ici mon avis sur le deuxième film de la troisième trilogie, cette fois produite par Disney. Un avis où je vais tâcher d'éviter les spoilers. 



Je préfère prévenir: j'avais détesté le précédent épisode, l'épisode 7: le réveil de la Force, au point qu'il m'a fallu le prétexte d'emmener mes enfants voir le suivant pour me décider à aller voir la suite.

Un mot tout d'abord sur l'affiche: sans la regarder attentivement, je trouvais que le personnage encapuchonné faisait trop penser à Dark Sidious, l'empereur du côté sombre, et je craignais vraiment que le syndrome du reboot frappe encore. 

C'était en effet l'une de mes craintes principales. J'avais trouvé que l'épisode 7 était un reboot, ou si vous préférez, une resucée des épisodes 4, 5 et 6 (saga originelle). Le Réveil de la Force se caractérisait par des scènes qui ressemblaient à s'y tromper à des remakes de moments de chacun des trois films, la Guerre des Etoiles, l'Empire contre attaque et le Retour du Jedi. Mais le tout était fait en dépit de toute vraisemblance et bien sûr originalité. Une énorme déception. 

Eh bien figurez-vous que l'encapuchonné sur l'image est trompeur si l'on n'y prête pas une trop grande attention.

La très très bonne nouvelle, c'est que l'intrigue de l'épisode 8, Les derniers Jedi, est à l'image de cette affiche, elle surprend à plusieurs reprises. Du coup, moi qui m'attendais au pire, si je n'ai pas eu le grand frisson, je l'ai regardé avec un certain plaisir.

Ce titre, Les derniers Jedi, fait penser au retour du Jedi, et sans trop spoiler, on peut dire que le personnage de Luke Skywalker y joue également un rôle de pivot.

Pour l'épisode 7, j'avais l'impression qu'on avait confié le scénario au premier stagiaire venu, voire que c'était un commercial de Disney qui était à la baguette. 

Pour cet épisode 8, j'ai trouvé que les scénaristes avaient fait preuve d'habileté, en prenant à chaque fois à contre-pied les attentes des spectateurs. Quant à l'aspect reboot, notamment de l'Empire contre attaque, je trouve que l'écueil est à peu près évité. Il y a bien sûr des clins d’œil très appuyés à l'épisode 5 et même 6, mais cela reste acceptable.

Le méchant, Kylo Ren joué par Adam Driver, évolue de manière crédible, il est beaucoup moins ridicule que dans l'épisode 7. Les scénaristes font preuve à son égard d'une sorte d'humour à froid qui nous rend le personnage plus acceptable.

Il y a donc un énorme progrès entre le 7 et le 8. Néanmoins, est-ce qu'on peut parler de film brillant ou incontournable? Pour moi, la réponse est clairement non. 

Bien sûr, si vous êtes fan des Star Wars, vous irez sans doute le voir, et vous passerez probablement un bon moment.

Mais l'épisode 8 ne pouvait pas effacer les énormes handicaps du 7, à savoir un cahier des charges qui fait de cette nouvelle trilogie, aux deux tiers en tout cas, une simple resucée plutôt que quelque chose de créatif, amenant du nouveau. 

Ce Nouvel Ordre dont on ne sait d'où il sort, mais qui ressemble comme deux gouttes d'eau à l'ancien Empire, et surtout ces rebelles dont on va retrouver, de manière totalement inexplicable, exactement la même flotte, avec son bon vieux croiseur Mon Calamari, son amiral Akhbar et la frégate médicale. En dépit de toute logique et de toute cohérence. 

Le rôle de Leia, simplement une transposition de celui de Mon Mothma, très décevant également.

Du côté de l'ajout à l'univers Star Wars, cela reste extrêmement pauvre. 

Et du côté des scènes d'action, cet épisode 8 est malheureusement fidèle au 7, à savoir, du très grand n'importe quoi. 

Les épisodes de la saga originelle, 4, 5 et 6 avaient une manière de briser les lois de la physique grâce aux Jedi, à la Force et aux sabro-lasers, qui démontraient un certain respect des lois de la physique. Bien sûr, il s'agit de space opera, pas de hard SF, on ne demande pas un réalisme à tout crin. 

Mais personnellement, je souhaite toujours que les scénaristes n'insultent ni mon intelligence, ni ma culture, et surtout, maintiennent une certaine suspension d'incrédulité pour les différentes scènes. Qu'ils fassent en sorte, si vous préférez, que mon esprit critique ne prenne pas le dessus en me faisant décrocher de l'histoire. 

J'avais heureusement remisé mon esprit critique dans un coffre-fort digne de Fort Knox, ce qui m'a permis de profiter grosso modo du film.

Mais avec le recul, il est évident que la surenchère dans le côté impossible, surréaliste des scènes d'action, déjà manifeste dans l'épisode 7, vient ici se renforcer du côté plus sombre de cet épisode 8. On a voulu faire dans le désespéré de chez désespéré de chez désespéré, et quand vous ajoutez à cela l'aspect hautement improbable des scènes d'action, eh bien vous créez de sacrées brèches dans la suspension d'incrédulité.

Je sais: les gens ont tendance à mettre tous les films dans un même panier dès que l'on parle d'action. Je pense de mon côté qu'il y a un distinguo à faire entre un film comme Independance day, par exemple, et les Star Wars de Lucas. Je dis bien: de George Lucas, et non de Disney.

Alors certes, le seuil de l'acceptable et de l'inacceptable varie suivant les individus, et évolue sans doute avec ce que nous fait avaler le cinéma. Comme disait l'autre, "les cons, ça ose tout".

Je choisis néanmoins, au final, de retenir l'habileté scénaristique, et les évolutions de cet épisode 8 vers quelque chose qui pourrait, finalement, amener un renouveau. 

Un avis nettement plus positif, bourré de spoilers et en anglais sur l'épisode 8. Très intéressant.

vendredi 8 décembre 2017

Société du "marche ou crève"

«­On peut mesurer le degré de civilisation d'une société en visitant ses prisons» disaient Fedor Dostoievski et Albert Camus. Ils avaient raison, mais ils auraient pu ajouter: «et en examinant la manière dont l'urbanisme s'occupe des sans abris et vagabonds».

Des abribus conçus, non pour abriter, mais pour que le vent s'y engouffre:

Il ne faudrait surtout pas y rester trop longtemps, 
et quelle largeur de banc!

Des bancs munis d'arceaux en acier:

Faites un geste civique: 
prenez un chalumeau et découpez-moi ces foutus arceaux!

Des perrons sur lesquels on plante des boulons: 

Charming, isn't it? 
 
Des allées centrales sous les ponts recouvertes de pointes:

Je vous jure que si on pouvait recouvrir de pointes l'intégralité
du bitume pour empêcher les SDF de s'y allonger, on le ferait!

"On ne veut pas de ça chez nous". C'est en gros la manière dont les maires s'occupent des SDF et autres laissés pour compte. "Bienvenue dans nos territoires d'exclusion, garantis anti-SDF!"

Deux maires de gauche à Paris ces dernières années. Et ils ont laissé passer ça???!! Mais bordel, où sont passées les valeurs de la gauche? 

Nous sommes dans une société qui fabrique du déséquilibre et de la pauvreté. Le SDF de demain, ça peut être moi, ça peut être vous. 

Je suis désolé de faire tomber cet article sous le coup de la loi de Godwin, mais c'est pas un peu facho, tout ça? Cette manière de nier la pauvreté tout juste ce qu'il faut pour prendre des mesures d'exclusion? 

Si on est capable de faire ça aussi facilement, aussi efficacement, est-ce que la prochaine étape, ce ne serait pas de construire en secret des camps de la mort pour gazer discrètement nos sans domicile?

Alors, bien sûr après, on va dire que le revenu universel, le logement universel, le partage des ressources sont des utopies. Eh bien je vais vous dire, je suis d'accord. Dans une société du "marche ou crève", ces concepts resteront à jamais utopiques. 

Je vous laisse, je vais vomir.