lundi 11 juillet 2016

Choisissez votre terrain

Les généraux n'ont pas attendu Bonaparte ou Wellington pour savoir qu'il valait mieux choisir son terrain avant chaque bataille, plutôt que laisser à l'adversaire l'opportunité de le faire. Si j'en crois mon expérience, il en va de même dans les relations entre auteurs et éditeurs.

De par la maîtrise qu'ont les gros éditeurs sur les réseaux de distribution et de diffusion en librairie, ils se sont mis dans la position de Gardiens du Portail de ces réseaux: ils se sont mis en situation de recevoir des sollicitations de la part des auteurs qui leur soumettent leurs manuscrits. 

Certains auteurs bénéficient de ce que l'on peut appeler une plate-forme de publication: un blog, un site, des réseaux sociaux, ou même, s'ils ont opté pour l'autoédition, un certain nombre de lecteurs, ce qui peut se traduire entre autres par une mailing list, une liste de lecteurs bien remplie. 

Les auteurs autoédités à succès sont, pour des éditeurs qui désirent investir une quinzaine de milliers d'euros dans un nouveau titre, les plus intéressants, car il sera toujours plus facile de revenir sur un investissement si l'on sait qu'un auteur est suivi par un certain nombre de lecteurs. 

Ces auteurs ayant déjà un certain nombre de lecteurs sont-ils pour autant en situation de force lorsqu'ils contactent un éditeur? 

Certainement pas. 

Songez-y: les éditeurs sont entraînés à recevoir des sollicitations diverses et variées. C'est leur terrain de prédilection. Ils y sont en position de force, ne serait-ce qu'en raison du fait qu'à partir du moment où la demande vient de l'auteur, c'est que le besoin vient de l'auteur. 

Alors oui, dans une négo, il y a des moyens de faire comprendre à un éditeur que son intérêt est de nous éditer, et que les deux parties y gagneront. 

Il est vrai, aussi, qu'un éditeur intelligent peut y voir son intérêt sans qu'il soit besoin d'argumenter, et bousculer ses priorités, notamment son planning de publication.

Proposera-t-il pour autant d'emblée un contrat favorable à l'auteur, lui permettant par exemple de conserver les droits sur l'exploitation de la version ebook? Il y a fort à parier que non. Ce n'est pas encore passé dans l'usage, loin de là. 

L'auteur devra d'autant plus se montrer habile dans la négociation qu'il aura sollicité lui-même l'éditeur. 

Les choses seraient sans doute un peu plus favorables à l'auteur si celui-ci pouvait s'appuyer sur un tiers, un agent parfaitement fiable pour représenter ses intérêts. Hélas, les premiers clients des agents sont les éditeurs, et non les auteurs: l'auteur ne pourra donc que rarement se fier à son agent, dans le cas exceptionnel où il soit parvenu à en trouver un en France - ils ne courent pas les rues. 

Mieux vaut donc combattre sur son propre terrain, lorsqu'on est auteur. Ce qui signifie, dans mon esprit, tout faire, dans sa petite entreprise d'autoédition, pour être en position de dire "non". Et surtout, ne pas contacter soi-même les maisons d'édition.

Donc, être autonome financièrement, et n'entrer dans des négos que si c'est l'éditeur qui nous contacte. Parce que si c'est lui qui vous contacte, il se retrouvera dans une situation moins familière pour lui, et moins confortable. Il saura qu'on peut lui opposer un refus, parce qu'on n'a aucun besoin vital de ses services.

Il peut m'arriver de rencontrer un professionnel du livre dont les intérêts semblent concordants avec les miens, par exemple en dédicace. Dans ce cas je lui laisse mes coordonnées. Mais si la personne oublie de me recontacter, je l'oublie aussi. 

Et si un contact se fait, j'enquête sur le professionnel en question. C'est valable aussi pour les maisons de production. Le fait qu'une telle maison ait déjà eu plusieurs procès envers des créateurs serait évidemment un signal d'alerte rouge. 

Si vous êtes en contact avancé avec une maison d'édition et que vous lisiez l'anglais, allez sur le blog de Kristine Rusch, tapez les mots "Deal Breakers", et définissez une liste de clauses que vous n'accepterez pas, et qui feront capoter le contrat en cas de négociations. Il faut être très ferme là-dessus.

Depuis que les auteurs ont le moyen de toucher, de manière simple et rapide, les lecteurs par le truchement de plates-formes telles Amazon, Kobo, et autres, je ne vois plus d'intérêt d'envoyer son manuscrit à un éditeur. Pour la bonne et simple raison que chaque auteur devient sa petite entreprise, et qu'une entreprise ne peut rechercher un partenariat avec une autre plus puissante sans apparaître en tant que solliciteuse, et en situation de faiblesse.

Ce devrait être à ces entreprises de faire l'effort de rechercher et de démarcher des auteurs, dans leur propre intérêt. 

Certaines le font: il existe des cellules de veille chez certaines maisons par rapport aux chiffres de ventes de sites comme Amazon.

Mais c'est encore marginal. 

Et si, me direz-vous, on ne souhaite pas passer par la case autoédition? L'envoi de son manuscrit à un éditeur ne créé-t-il pas d'emblée une situation très déséquilibrée en défaveur de l'auteur? 

Si, bien sûr. Le seul moyen de réduire ce déséquilibre sera de privilégier les petites maisons d'édition. Mais dans mon esprit, les petites maisons d'édition, si elles peuvent être une étape intéressante d'apprentissage du métier, si elles proposent souvent des contrats plus équilibrés, sur des durées de cession plus courtes, ne permettent pas non plus aux auteurs, dans l'immense majorité des cas, de vivre de leur plume.

Il faut être très clair là-dessus. Ce sont des structures plus ou moins fragiles, qui reposent sur des passionnés, qui ont souvent un boulot à côté et qui sont surchargés de travail. Souvent des femmes d'ailleurs.

Si vous avez l'impression que le système n'est pas fait pour faire vivre des auteurs, vous serez dans le vrai. Raison de plus pour vous préparer à mener des batailles particulièrement difficiles, en mettant toutes les chances de votre côté.