jeudi 19 novembre 2015

Les auteurs et écrivains : tous des "hobbyists" (amateurs)?

Si ce qu'on appelle les écrivains ou "grands écrivains" jouissent d'une forme d'estime parmi le grand public, leurs revenus d'écriture font plus souvent qu'à leur tour le grand écart avec cette considération. Lorsque l'on s'intéresse à la place qu'occupent ces auteurs et écrivains dans le marché du livre, on s'aperçoit avec étonnement qu'ils n'en sont que des satellites. Ma théorie personnelle est qu'au-delà des strass et paillettes, ils sont en réalité considérés par les "professionnels du livre" de tout acabit comme des "hobbyists", des personnes pratiquant un hobby. Bonne nouvelle, les choses sont en train de changer, en grande partie grâce à l'autoédition. 

Le terme "hobbyist" est un terme anglais qui peut être traduit par une périphrase, "personne pratiquant un hobby, un loisir", ou plus simplement par le terme "amateur". J'aime bien ce terme de "hobbyist", car il dit de manière très directe ce qui n'est décrit que de manière imparfaite en français.

Récemment, on a vu des articles (je pense notamment à un article de BFM) qualifier les auteurs autoédités "d'écrivains du dimanche", qui se rapproche également très fort de l'acception de "personne pratiquant un hobby", mais en y ajoutant une notion péjorative jouant sur le contraste entre "écrivain" et "du dimanche".

Avec un soupçon de malice, on pourrait renverser le sarcasme qui se cache derrière ce terme d'"écrivains du dimanche" pour affirmer que les amateurs, délivrés des soucis pécuniaires, sont les seuls véritables artistes, car les seuls à même de créer sans aucun souci de plaire, ni aucune considération pour le marché. 

Après tout, n'y a-t-il pas dans "amateur" le mot "amoureux"? Être amoureux de son art, je ne vois pas où est le problème là-dedans. Cela me paraîtrait même être un prérequis. 

De très nombreux auteurs se sont contentés d'être ces amoureux de leur art, produisant des œuvres de qualité en parallèle de leur métier alimentaire, un peu comme un dérivatif. Stefan Wul, de son vrai nom Pierre Pairault, que j'admire énormément, était dans ce cas. J.R.R. Tolkien lui-même était professeur d'anglais.

Robert E. Howard a quant à lui réussi à échapper à ce tropisme, cette tendance lourde, à force de travail et d'abnégation, en soumettant ses nouvelles à des pulps, célèbres magazines dont l'emblématique Weird Tales - concernant Robert E. Howard, si vous comprenez l'anglais, je ne peux que recommander de regarder le film The Whole Wide World.

Il est intéressant de constater que le travail de nouvelliste désirant se faire publier dans un magazine a pas mal de points communs avec celui de journaliste pigiste dans la presse écrite. Là encore, un autre satellite.

La société a beau mettre littéralement au Panthéon certains écrivains, il ne faut pas croire, elle garde les pieds sur terre, et nombreuses sont les personnes à considérer qu'écrivain n'est pas un métier. Ou alors, un métier de crève-la-faim. 

Les seuls vrais professionnels seraient les participants de la chaîne du livre, éditeurs, libraires, bibliothécaires, distributeurs, diffuseurs, publicistes, imprimeurs... plus les rarissimes auteurs qui se sont rendus indispensables à ce marché du livre, de par le nombre de lecteurs et fans qui les suivent. Comme avait su le faire R.E. Howard avec Weird Tales.

C'est pourquoi il me semble raisonnable de penser que par défaut, tous les auteurs sont considérés comme des amateurs. Ce qui explique, bien évidemment, les contrats extrêmement défavorables aux auteurs. Oui, pour un éditeur, il y a souvent "bonne poire" écrit en lettres invisibles sur votre front d'auteur.  

Et on peut penser que même les auteurs qui ont gagné en notoriété sont toujours considérés comme des bonnes poires par leur éditeur, dans la mesure où il n'ont pas montré une connaissance suffisamment intime du marché pour savoir où se situait leur meilleur intérêt. Pour gagner le respect de quelqu'un, il faut jouer le même jeu que lui, et non s'extraire du jeu en se disant qu'on est au-dessus de tout cela. Ce n'est pas pour rien si l'auteur qui vend le plus au monde, James Patterson, est aussi un expert en marketing.

Loin de moi l'idée de dire que l'on doit viser à devenir le prochain Patterson. Il en va souvent, tout simplement, de l'avenir de l'auteur: rares sont ceux qui arrivent à vivre à plein temps de leur plume, et s'ils y parviennent, ils ont intérêt, s'ils veulent maintenir cette activité d'écriture à temps plein, à se donner les armes pour y parvenir. 

Le bouleversement de l'autoédition par voie électronique

L'autoédition est une belle illustration du fait que la professionnalisation des auteurs découle d'un amateurisme de départ. Un journaliste qui voudrait parler d'écrivains du dimanche pourrait sélectionner des milliers d’œuvres autoéditées à titre d'exemple. Tout en oubliant, bien sûr, les auteurs qui ont une démarche vraiment pro. 

Si l'autoédition, en France, y compris par voie électronique, n'a pas vraiment changé le fait que très peu d'auteurs en vivent, le véritable chamboulement se situe en réalité dans la démarche: grâce à Internet, de plus en plus d'auteurs ont une démarche professionnelle, s'inscrivant dans un marché. Il n'y a que comme cela qu'ils s'attireront le véritable respect de la société, et qu'ils cesseront de se faire marcher dessus.

Le fait que la plupart des auteurs autoédités qui réussissent passent exclusivement par Amazon, lequel Amazon fonctionne presque en vase clos, est évidemment gênant.

Notez tout de même le "presque": Amélie Antoine, lauréate du prix de l'autoédition Amazon, va se faire publier par Michel Lafon, un éditeur traditionnel. Nul auteur n'est prisonnier d'Amazon. 

Le point le plus positif pour les auteurs et leur "viabilité financière" dans la société est bien que ce bouleversement dans la démarche - couvertures de plus en plus léchées, argumentaire percutant, liens tissés avec les lecteurs, notamment au travers de newsletters, des réseaux sociaux ou de blogs -  ait eu lieu. Bien que la concurrence ne soit pas pour l'instant à la hauteur d'Amazon, elle a le mérite d'exister, et d'avoir compris l'intérêt de soutenir les auteurs autoédités.

Si la tendance se poursuit, à la fois du côté des auteurs pour ce qui est de la professionnalisation, et des plates-formes pour la mise en valeur, il se pourrait bien qu'un beau jour, on se réveille en constatant que les auteurs ne sont plus considérés par les professionnels du livre comme des "hobbyists". 

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