mercredi 1 octobre 2014

[Archive 11/10/2010] Un rêve, cela peut coûter cher

Je ne joue jamais au loto. J’estime qu’à partir du moment où il n’y a qu’une chance sur mille d’être tiré au sort, l’incertitude devient beaucoup trop grande. Sans vouloir stigmatiser personne, je dirais que les millions de personnes qui tentent leur chance sont avant tout des millions de perdants en puissance, et qu’ils contribuent à alimenter les caisses de gens qui ne le méritent pas. Le rêve de ces millions-là rapporte peut-être beaucoup à l’Etat, mais il coûte à chacun. Le parallèle avec le secteur qui me concerne, la littérature, est facile à faire, quoiqu’il faille bien sûr nuancer la chose.



Peut-on croire que des dizaines, voire des centaines de milliers de personnes enverraient chaque année leur manuscrit à des éditeurs en sachant que les chances d’être choisi sont infimes, peut-on croire qu’ils le feraient sans, quelque part, jouer au loto ? Ils tentent leur chance, personne ne saurait le nier. Alors oui, il existe des manuscrits publiés par de grandes maisons d’édition qui arrivent par la poste. Oui, leurs auteurs peuvent connaître le succès. Mais quel est, derrière, le sacrifice que l’on demande à la société ? N’en doutez pas, il est abyssal, c’est celui de dizaines de millions, voire de milliards d’heures de travail. Et ce qui n’est pas comptabilisable représente la partie immergée de l’iceberg. C’est le goût de cendres dans la bouche des auteurs dont le manuscrit est partout rejeté, c’est l’amertume qui monte.
On sait qu’à compétences égales, après présélection du comité de lecture, c’est le coup de cœur du directeur de collection qui va faire la différence. Donc, quelque chose d’éminemment subjectif. Qu’est-ce que nous, auteurs, indiquons aux éditeurs, quand nous sommes des dizaines de milliers à leur envoyer des manuscrits dans ces conditions ?
C’est simple, nous leur démontrons que le rapport de force leur est extrêmement favorable. Si nous sommes prêts à soumettre entièrement nos millions d’heures de travail réunies à leur seule subjectivité, que ne sommes-nous prêts à accepter d’autre ?

« Je fais du commercial pour pouvoir publier des auteurs intéressants »


L’argument des éditeurs selon lequel ils publient des livres commerciaux pour avoir la possibilité de mettre en avant des ouvrages intéressants et donc de promouvoir la culture est bien connu. La logique mise en avant est simple : de nombreux livres ne se vendraient pas, et ne seraient donc pas rentables si eux seuls étaient publiés, il faut donc leur adjoindre des livres commerciaux pour que les maisons d’édition gardent la tête hors de l’eau. Je vous le demande, n’est-ce pas là une manière artificielle d’assurer une diffusion nationale ou internationale à des livres ?
A l’inverse, en quoi les auteurs ayant mis tout leur cœur, leur talent voire leurs tripes dans un roman et réussissant à se faire publier par de grandes maisons d’édition ne servent-ils pas d’alibi ? Ces maisons peuvent ainsi continuer à publier des livres people ou politique et faire du business en toute quiétude. Si ces maisons ne publiaient que ces livres people ou politique, souvent écrits par des prête-noms littéraires, est-ce qu’à terme, leur image de marque de « grands éditeurs » resterait la même ?
 
La part des choses
 
Il faut tout de même faire la part des choses. De nombreux auteurs, loin de jouer la stratégie du manuscrit envoyé à l’aveugle, établissent le contact lors de salons et ne se font publier que lorsqu’ils sont en confiance, et à des conditions décentes. Dans ce cas, il est vrai, ce sont à des petits éditeurs qu’ils s’adressent, qui n’ont pas toutes les clés du marché. Mais s’ils veulent viser plus haut, s’ils n’ont pas ce qu’on appelle un « nom », plus ils voudront être diffusés, plus ils devront faire de concessions sur les droits d’auteur.
Je dois bien l’avouer, depuis que je suis dans le métier, après avoir commencé en tant qu’autoédité, puis m’être fait publier avant de revenir vers la case autoédition, j’ai le sentiment de participer à un jeu dont les règles sont faussées. La perversité du système ne doit pas être imputée uniquement aux financiers ni aux éditeurs, ni à la médiatisation ou à la société de spectacle. La faute, selon moi, revient principalement aux auteurs eux-mêmes, les écrivains en place bien sûr, mais aussi tous les autres, ceux qui se déconsidèrent et méconnaissent le pouvoir qui est le leur. Si les choses doivent changer, de toute façon, c’est par la base que cela se fera.
Il y aurait beaucoup moins de déception et de frustration dans la profession si l’on envisageait ce métier, non pas comme une branche du spectacle où 100% des perdants ont tenté leur chance, mais bien comme un artisanat, avec diffusion locale ou régionale de chacun, par l’autoédition s’il le faut et si on le désire, et nationale et internationale uniquement par le biais d’Internet et de la technologie de l’impression à la demande.
En définitive, vouloir faire rêver les gens avec le mythe de « l’éditeur-sauveur », la-loterie-magique-de-la-société-spectacle-qui-va-vous-rendre-riche-et-célèbre, vouloir favoriser cela, c’est les entretenir dans l’illusion, les couper de la réalité du marché et susciter des vocations qui, disons les choses comme elles sont, n’ont pas lieu d’être. Ce n’est pas que la littérature doive être réservée à une élite : tous ceux qui veulent en faire profession devraient se confronter à la réalité du métier, à savoir, se faire relire par d’autres personnes, tenir compte des avis, retravailler son texte - et à ce sujet, il est possible de s’appuyer sur des associations telles Cocyclic et/ou de s’entraider via des forums d’auteurs jusqu’à satisfaction mutuelle. Puis, il faudra rechercher le contact avec le public et lui soumettre ses productions, ce qui passe en général par des séances de dédicaces. Nul besoin d’un éditeur pour cela, de nos jours. 

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